06/09/2025

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25 ans de photos à Taiwan : Bernard Bordenave

01/10/2004
Peitou,1986.

>> Le photographe français Bernard Bordenave vit et travaille depuis 25 ans à Taiwan. Attentif et discret, il promène son objectif loin des quartiers touristiques

« Mes photos sont toujours très pacifiques, je suis à l’opposé d’un reporter de guerre. J’aime promener mon regard et mon objectif loin des sites touristiques, je ne fréquente que des endroits absolument pas remarquables, des petites rues inconnues de Taipei par exemple, et je retourne souvent aux mêmes endroits, voir comment la vie modifie peu à peu les lieux et les gens. »

Si ce n’était son regard, Bernard Bordenave pourrait passer inaperçu, un atout certain pour un photographe. Mais Bernard Bordenave est avant tout un regard. Derrière ses lunettes rondes, les yeux bruns paraissent toujours questionner, chercher, scruter ce qui l’entoure pour identifier une image ou pour fouiller, en lui-même, à la recherche d’une réponse, de la bonne réponse.

Adepte du yoga, végétarien depuis 30 ans, Taiwanais d’adoption depuis 25, Bernard Bordenave poursuit tranquillement sa vie d’artiste de l’image. Peintre insatisfait à Paris dans les années 60, puis photographe des hommes et de leur quotidien en Asie, il revient progressivement à la toile et au pinceau, le tout en un très harmonieux fondu-enchaîné. Il a deux fois trente ans.

Au physique, l’homme a tout de l’ascète. Le visage et le corps émaciés, petit, sec et musclé, une barbe sombre sur une face brunie par le soleil, Bernard Bordenave ne déparerait pas dans la foule d’un ghât de Bénarès.

A l’image d’un sâdhu, il a d’ailleurs appris à se défaire de l’inutile. Quand ses confrères accumulent négatifs et clichés comme autant de justifications d’eux-mêmes, Bernard Bordenave n’a de cesse de trier, jeter — de s’alléger.

De son premier voyage en Asie, 7 mois sac au dos au Laos en 1974, ne lui restent ainsi qu’une douzaine de photos rangées dans l’un des rayonnages d’une modeste armoire. Il garde là celles de ses images qui ont réussi à franchir le cap du tri, la sélection sans pitié.

La vie de Bernard Bordenave est marquée d’événements importants dont il assure qu’ils ont à chaque fois réorienté sa vie. Il n’y a aucune raison d’en douter. Le régime végétarien, la découverte du yoga, de l’Asie, de la photo, la rencontre avec une autre adepte du yoga, une Taiwanaise qui va devenir sa femme et l’est toujours, la Chine continentale, le Viêt-nam, la naissance de son fils, autant de jalons qui l’ont aidé a faire de sa vie une existence bien plus qu’une carrière.

Appareil photo en main, ce n’est jamais vers les beaux quartiers que ses pas le mènent. Son monde s’articule davantage autour des petites rues populaires du vieux Taipei. Les venelles promises à la destruction, les maisons construites de tôle, de planches, de bric autant que de broc. D’année en année, le photographe français creuse son sillon et remet les pieds dans ses propres pas. Il regarde vieillir les marchands de soupe, disparaître les bicoques, surgir les buildings.

Les clichés de Bernard Bordenave deviennent peu à peu les témoins d’une agonie, celle du Taipei déjà presque d’hier, celle de cet art de vivre ancien vaincu sans combattre par l’alliance du modernisme et de l’argent. Ces modestes allées qui sentent la cuisine et le bâton d’encens vivent depuis longtemps déjà dans l’ombre des immenses buildings qui les menacent. Le photographe qui a commencé en fixant sur la pellicule les estivants un peu ridicules des plages du Lavandou et les skieurs de Megève sauve désormais de l’oubli une maison bleue et ses multiples carreaux, une simple porte de bois peint, un marchand d’ustensiles de cuisine en métal ou le pauvre bricolage de fer et de planches qui permet à une masure de tenir debout.

Pourtant Bernard Bordenave avoue rencontrer des difficultés : « A Taiwan, explique-t-il, on vit de moins en moins dans les rues, de plus en plus dans les magasins, il devient difficile de trouver des gens à photographier, et puis l’omniprésence des voitures banalise toute image. »

Alors le photographe se rapproche de ses sujets. Lui qui n’imagine pas sortir un personnage de son contexte en vient à privilégier une fraction de ce contexte. Un mur, par exemple, dont il fixe à quelques centimètres la rugosité, ou encore le voisinage de planches et de ciment dont il fait soudain apparaître la beauté de l’union. Peu à peu, les photos perdent leur caractère figuratif pour rejoindre le concept. Et le photographe trouve le goût de réveiller le peintre qui sommeillait en lui depuis les années 60. Aujourd’hui les œuvres graphiques de Bernard Bordenave finissent par se reconnaître du même père et par se ressembler.

C’est en bus ou à bicyclette et seulement quand il fait beau que l’artiste arpente Taipei. Le reste du temps, on peut le trouver au comptoir du magasin de bijouterie qu’il possède avec sa femme.

Ses outils vont du traditionnel appareil 24x36 au nouveau matériel numérique, en passant par l’un des meilleurs moyen-format du marché.

« Je suis un végétarien heureux ! » proclame ce yogi français de la photographie. Un bonheur et une paix qui habitent ses images.

De l’espèce des photographes promeneurs, comme ses maîtres Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Edouard Boubat ou encore Marc Riboud, Bernard Bordenave a su ajouter, au temps et à la lumière, le troisième élément sans lequel la photographie ne serait jamais qu’une technique : le cœur. ■

©Jean-François Mineau, 2004

 


 

Les photos de Bernard Bordenave ont paru dans des magazines taiwanais et asiatiques comme Earth Today, Topics ou Centered Taiwan. Certaines de ses images ont fait l’objet d’une édition sous forme de cartes postales.

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